Zoom sur une autrice de la sélection 2025
Agrégée de lettres au lycée André-Malraux de Remiremont depuis plus de 20 ans, Hélène P. Mérelle – qui a écrit 6 romans dont la trilogie « L’automne des magiciens » – concourt cette année avec son dernier roman pour le prix Imaginales des Lycéens qui sera décerné jeudi 22 mai à Epinal, au terme de la sélection qui départagera 5 auteurs en lice.
Le livre sélectionné pour le prix : « L’aurore et la glace » aux éditions Bragelonne, emmène le lecteur à la rencontre de Dess, jeune chamane inuit qui a le pouvoir de parler aux Esprits. A la croisée du monde moderne et des traditions ancestrales de son peuple, elle enquête sur l’inexplicable naufrage d’un navire le long de la côte est du Groenland.
Quel que soit le résultat des votes, Hélène P. Mérelle compte bien être présente au festival des Imaginales pour des conférences littéraires, des dédicaces et la rencontre avec ses lecteurs.
Dans le cadre de cet évènement littéraire particulier, Kumbu Dem, élève lecteur, en Terminale G3, a réalisé avec elle une interview radiophonique au CDI du lycée Malraux, pour mieux faire connaître cette spécialiste des littératures imaginaires, passionnée de mythologie, de lecture et de voyages.
Ci-dessous, la vidéo de l’interview, suivie de la transcription :
Interview Mme Mérelle – Par Kumbu Dem TG3 :
« Bonjour Mme Mérelle. Nous avons de la chance de vous avoir au lycée comme professeur de lettres. Parlez-nous de votre passion pour la littérature et l’écriture.
J’ai toujours écrit… mes premiers textes doivent dater du CE1. Mes parents ont soigneusement gardé ça dans une petite boite. Je ne me suis décidée à les faire présenter à un éditeur qu’il y a 10 ans à peu près. Je n’avais pas le temps avant, puis je me suis mise à temps partiel donc je faisais la moitié de ma semaine comme professeur et l’autre moitié (…) j’ai eu vraiment le temps de revenir sur mes textes, les améliorer et prendre quelques contacts. C’est comme ça que ça a commencé.
Je suis moi-même fan de mythologie, surtout de mythologie grecque. Pourquoi cette prédilection pour l’imaginaire et la mythologie ?
J’ai toujours lu beaucoup de mythologie. Ça remonte à l’enfance, des collections de contes et légendes de différents pays, on faisait aussi beaucoup de voyages avec mes parents. Quand j’allais dans un pays étranger, je m’intéressais aux contes, mythes spécifiques et puis j’ai toujours trouvé que c’était un réservoir d’histoires formidables. On y trouve des héros, des créatures tout à fait fascinantes.
Et c’est quoi votre mythologie préférée ?
Oh ça change tous les 6 mois à peu près au fur et à mesure que je les découvre (…) J’ai beaucoup aimé la mythologie Inuit quand j’ai écrit ce livre-là (sic « L’aurore et la glace »). C’est un système très original où il n’y a pas de dieux par exemple ; simplement le premier homme, la première femme, qui font alliance avec les animaux. On a des créatures qui sont composées de phoques, morses, loup, ours, créatures hybrides tout à fait originales.
Je ne savais pas qu’il n’y avait pas de dieux…
Non la mer et la terre, on leur doit beaucoup de respect. Mais on n’utilise pas le mot Dieu.
Est-ce qu’il y a des mythes de la création, comme dans toutes les mythologies ?
Oui oui, on voit des histoires qui expliquent comment le monde a évolué, comment sont apparus les poissons, d’après les doigts de la déesse Sedna, la mère de toutes les créatures marines. Mais on ne rend pas de culte, il n’y a pas de prêtre, d’église, de lieu spécifique pour leur rendre un culte.
Comment avez-vous réussi à être publiée ?
C’était en 2012, je suis allée au festival des Imaginales à Épinal, un festival consacré aux littératures de l’imaginaire et donc il y a beaucoup d’éditeurs qui se trouvent là. Et la maison d’édition que je préférais à cette époque-là, c’était Bragelonne parce qu’ils publient beaucoup de livres que j’aimais. Je suis allée voir le président de Bragelonne qui s’appelait Stéphane Marsan et je lui ai expliqué que j’avais écrit une histoire. Il m’a dit « super je prends ». Donc pour moi, ça s’est passé en fait très facilement. Je sais que je suis un peu un cas à part pour la recherche de l’éditeur, j’ai eu de la chance.
Est-ce que les élèves du lycée vous demandent parfois des autographes ?
Ça arrive, surtout après les Imaginales, quand ils m’ont vu dans les allées, ou quand j’ai dédicacé dans une librairie dans le coin. D’un seul coup, ils reconnaissent ma tête sur l’affiche de la librairie.
Ça vous fait quel effet ?
C’est toujours un peu bizarre. D’ailleurs là, en ce moment, c’est très bizarre pour moi de parler de mes livres dans mon lycée. Parce que normalement, j’ai vraiment une coupure très franche entre mon métier d’auteur et mon métier de prof. Certains jours, je suis prof et d’autres jours auteur, pas dans le même lieu, je n’écris pas dans la même couleur, pas sur le même support donc avoir ces deux versants de ma vie qui se télescopent, c’est assez étrange. Mais c’est bien, l’étrange, c’est une bonne source d’inspiration !
J’ai lu votre roman. (…) Je dois dire que Dess, le personnage principal, m’a beaucoup parlé et cette histoire de liens ancestraux, de traditions, de modernité et surtout d’identité, me parlent beaucoup aussi. Ce livre est en lice pour le prix des Imaginales cette année, quel était votre état d’esprit quand vous avez commencé à l’écrire ?
Ça remonte au confinement. (…) Je pense que tout le monde se souvient de cette époque, on est enfermé chez soi, on ne peut pas sortir, on ne peut pas voyager… J’ai passé beaucoup de temps sur l’ordinateur à échanger avec des correspondants un peu partout dans le monde, prendre des photos de ce qu’on voyait par notre fenêtre et ça donnait envie de se projeter dans d’autres pays. C’est à ce moment-là que j’ai commencé mes deux derniers romans, un qui se passe en Turquie, l’autre au Groenland. Parce que vraiment, j’avais envie de m’extraire de chez moi et je me suis fait beaucoup d’amis un peu partout dans le monde. Donc l’écriture de « L’aurore et la glace », ça a vraiment été un travail de groupe avec mes amis au Groenland. C’était agréable dans le sens où je me sentais sortir de l’emprisonnement du confinement et aller dans des endroits qui sont particulièrement ouverts, la grande banquise, les grandes plaines au centre du Groenland. C’était vraiment un moyen d’évasion. Donc j’espère que c’est ça que j’ai réussi à transmettre avec ce livre.
Et pourquoi le Groenland spécifiquement ? Vous aimez ce pays ?
Alors là c’est un hasard. J’ai eu deux correspondants là-bas qui étaient toujours prêts à discuter, qui avaient les mêmes horaires que moi et un peu les mêmes préoccupations. On s’est bien entendu et voilà ; pareil pour le roman précédent : « Le sang et la chance », c’est une rencontre que j’ai fait avec quelqu’un à Istanbul pendant le confinement qui m’a beaucoup aidé, qui aimait l’archéologie donc ça c’est un hasard.
Avez-vous l’impression d’avoir évolué ou gagné une certaine forme de maturité dans votre écriture ?
Oui j’ai beaucoup évolué ça c’est sûr. Je détesterais écrire deux fois le même roman. Mon 1er roman, c’est une trilogie très longue, trois tomes de 500 pages. Après, je voulais essayer de faire un roman court donc j’ai beaucoup travaillé avec l’éditeur sur la manière de condenser l’intrigue, de se limiter à quelques détails significatifs au lieu de faire de longues descriptions. Et pour « L’aurore et la glace », j’ai voulu écrire pour la première fois à la première personne. Ça permet d’entrer vraiment dans les émotions, les doutes de Dess, le personnage principal et ça aussi c’était très difficile. Parce que conjuguer les verbes à la première personne, ce n’est pas quelque chose que je faisais spontanément, ça posait toutes sortes de problèmes stylistiques. Donc je dirais qu’au niveau de l’écriture, tous mes romans sont différents. Est-ce que c’est une amélioration, je ne sais pas, c’est au lecteur de le dire. En tout cas, c’est une évolution.
Avez-vous des préférences personnelles entre vos livres ?
Je suis toujours un peu attachée au premier puisque c’est celui qui m’a permis d’être publiée. Donc c’est mon petit chouchou. (…) Ils sont tous différents et ils correspondent tous à un moment différent de ma vie et de mon inspiration.
On retrouve Dess, cette jeune chamane qui enquête sur le naufrage étrange d’un navire au Groenland. Est-ce que ça vous parait important d’insérer des éléments du monde actuel dans vos sagas fictionnelles, comme le réchauffement climatique ?
Alors c’est un sujet qui me touche, bien sûr, l’environnement, le réchauffement climatique, donc je voulais en parler. C’était une des choses que je tenais à mettre dans mes romans. Et un des sujets de conversation que j’avais avec mes amis au Groenland qui les préoccupait, à juste titre. Mais c’était un peu compliqué parce que je ne veux pas non plus être une donneuse de leçon, je n’ai pas de légitimité, je ne suis pas climatologue, je ne suis même pas prof de SVT. Donc j’ai essayé d’écrire ce qui se passait au Groenland, en me basant sur ce que me disaient mes amis, sans pour autant infliger à mes lecteurs une leçon en leur disant « achetez une voiture électrique ». Il fallait doser de manière assez subtile les renseignements, les explications, sans pour autant aller vers des leçons de morale. Donc ça a été difficile.
Ça apporte quelque chose d’important dans vos romans ?
C’est un peu la caractéristique de la Fantasy pour moi. C’est-à-dire, on est dans le monde réel et puis subitement, l’imaginaire, un élément mythologique fait irruption comme ça et vient perturber le sens de votre vie… c’est vraiment ce qui m’intéresse dans ce genre de littérature.
Est-ce que vous pensez que dans le futur, vous allez écrire un autre genre que la Fantasy ?
Honnêtement, je ne pense pas. La Fantasy, c’est vraiment ce qui m’attire. En tout cas, les univers imaginaires, la SF, certainement oui, mais pour moi c’est la même famille.
Que ressentez-vous lorsque vous finissez d’écrire un livre, lorsque vous écrivez un livre et à la relecture de ce livre ?
Alors c’est très différent ; quand on écrit le livre, c’est une période d’enthousiasme. On est vraiment transporté, même quand il y a des difficultés ; Parce qu’on sait qu’on arrivera à les résoudre et c’est du plaisir à l’état brut. Quand le livre est fini, c’est dur. Vraiment c’est dur, parce que déjà, il faut se dire qu’il est fini. On a toujours envie de l’améliorer, de changer une virgule, d’ajouter ou d’enlever un chapitre et il y a un moment, il faut se dire « non, stop, je m’arrête là. Et donc ça, c’est vraiment difficile : décider à quel moment il est fini. Et après, il sort de notre responsabilité. Par exemple, ce n’est pas moi qui vais choisir la couverture, à quel moment il va sortir, sous quel format… c’est un peu comme confier son bébé… pas à un inconnu, parce que l’éditeur, je le connais, mais quand même à des étrangers. Et ça, c’est un moment un peu difficile. Mais heureusement, en général quand on confie un livre à l’éditeur, on est déjà en train de travailler sur le suivant et donc ça, ça nous réconforte.
Est-ce que vous avez déjà connu un blocage artistique par rapport à l’écriture du livre ?
Blocage complet, je ne dirais pas ça mais c’est déjà arrivé que pendant certaines périodes, j’ai l’impression que tout ce que j’ai écrit est nul. J’efface, je rature, je jette tout ce que j’ai fait pendant plusieurs mois. Oui ça m’arrive.
Est-ce que l’écriture est addictive ?
Oui, je pense qu’un auteur ne peut pas s’arrêter d’écrire. Je ne sais pas vraiment ce que je ferais de ma vie si je ne pouvais pas consacrer des heures à l’écriture.
Et dans votre vie personnelle, avec votre famille, ça crée des tensions ou est-ce que ça apporte quelque chose de nouveau ? Ça enrichit votre vie familiale ?
On en parle beaucoup à table. J’ai un fils qui est médecin, il ne vit plus avec nous mais quand il revient, j’ai toujours une liste de questions à lui poser parce que ça arrive fréquemment dans un livre qu’il y ait un personnage qui soit blessé ou malade. Alors je lui dis « si j’ai un personnage qui a été blessé à la cuisse par une griffe d’ours blanc, en combien de temps il va se vider de son sang ? Qu’est-ce qu’elle devrait faire pour le sauver ? » Donc voilà, ça les amuse beaucoup parce que j’ai toujours des questions un peu excentriques comme ça. Et mon autre fils, il est écologue. Il travaille dans le domaine de l’environnement donc j’ai toujours aussi beaucoup de questions sur les plantes, les animaux, donc non c’est plutôt quelque chose qui nous rapproche.
Est-ce qu’on peut dire que le fait d’être enseignante apporte quelque chose à votre 2e profession ? et si oui quoi ?
Alors ça vraiment je pense que le combo auteur-enseignant, ça n’a que des avantages, parce que quand on écrit, c’est un peu comme expliquer quelque chose au lecteur. Et donc le fait d’être enseignant, ça m’a habitué depuis 30 ans à expliquer des choses aux élèves progressivement, pas un grand tas d’informations en une seule page mais distiller les informations un peu à chaque fois, chaque cours ou chaque page. Donc ça m’a donné de bonnes habitudes pour les descriptions et les côtés un peu techniques. Et inversement, le fait d’être auteur, me rendre compte que certains de mes textes sont mauvais, recevoir mes textes de l’éditeur avec des passages barrés, « non ça ce n’est pas bon, il faut que tu refasses », je pense que ça m’a rendu un meilleur professeur. Parce que j’avais plus d’indulgence avec les élèves qui se trompaient. Moi aussi ça m’arrive de me tromper, de faire une mauvaise page et lui, il a fait un mauvais devoir. Voilà, il faut que je cherche plutôt comment l’aider à s’améliorer.
Avez-vous d’autres passions artistiques ?
Je m’intéresse beaucoup à l’art, l’archéologie, tout ce qui est lié au mythe en fait. Quand je décris un Tupilak, par exemple dans « L’Aurore et la glace », ça veut dire que je vais passer du temps dans les musées, je ne pourrais pas le faire si je n’avais pas moi-même mesuré, regardé la couleur précisément. Donc je passe énormément de temps dans les musées oui.
Est-ce que c’est important pour un artiste d’avoir d’autres passions que son art ?
Je pense que c’est bon pour sa santé mentale en tout cas. Parce que comme je le disais, si on a plusieurs mois de blocage d’écriture et qu’on n’a rien d’autre dans sa vie, je pense qu’on va plonger dans la dépression. Donc quand j’ai une page dont je ne suis pas contente, je vais faire autre chose, je vais visiter un musée, faire une balade avec mon mari, les enfants… je vais me consacrer à mes élèves… ça permet d’avoir un équilibre.
Je pense qu’on peut en parler… Est-ce que vous diriez qu’être malentendante est plutôt un atout ou un frein à votre écriture ?
Pour moi c’est un atout parce que quand je suis dans une phase d’écriture, que je me dégage une plage de 4h, je sais que je ne vais pas être interrompue ; chez moi, j’ai mon propre coin d‘écriture donc j’enlève mes appareils, je n’entends plus rien du tout. C’est vraiment un moyen de se mettre dans une bulle. Les enfants qui jouent dehors, les bruits des voitures, plus rien ne me parvient, donc c’est d’autant plus facile pour moi de me projeter au Groenland. Pour moi, c’est un avantage.
Et pour les artistes qui ont des blocages ?
Ça n’empêche pas d‘avancer. Par exemple, ça m’arrive souvent d’écrire deux romans à la fois ; quand l’un des deux est bloqué, je travaille sur l’autre. Ou bien on peut travailler sur une nouvelle etc.
Avez-vous en tête la trame de votre prochain livre ? Si oui, peut-on avoir une idée de son sujet ?
La trame, pas exactement mais mon prochain livre sera de la SF parce que j’ai un peu l’impression d’avoir fait le tour de la Fantasy pour l’instant. Donc je suis en train de construire un système solaire avec des planètes très différentes des nôtres et c’est difficile parce que je n’ai pas une formation scientifique très poussée. Donc tout ce qui est problème de pesanteur, de gravité, tout ça, je suis obligée de faire beaucoup de recherches. On aura un groupe de héros qui va voyager de planètes en planètes et sur chaque planète, il y aura un enjeu différent.
Un peu comme le mythe de Jason dans la mythologie grecque ?
C’est un peu une sorte de voyage oui avec une quête, mais il ne faut pas que je spoile ! Ils cherchent quelque chose et ils sont obligés de visiter toutes les planètes du système pour le trouver.
Serez-vous aux imaginales en mai ?
Oui puisque le roman « L’aurore et la glace » est sélectionné pour le prix Imaginales des lycéens donc on est 5 auteurs et on va tous se retrouver aux imaginales au mois de mai. On participera à différentes conférences, pour rencontrer les lecteurs.
Merci d’avoir répondu présente pour cette interview. Moi aussi je m’intéresse à la littérature et un jour peut être j’aimerais être un auteur. Quel est votre conseil ?
Il faut être obstiné, il faut être patient parce que ce n’est pas facile. Et il faut faire des sauvegardes de vos textes ! Il faut s’entrainer toujours, on s’améliore. L’’écriture, c’est vraiment comme un muscle, il faut habituer votre cerveau régulièrement à travailler et ne pas se laisser décourager au premier refus. Parce que je connais d’autres auteurs qui ont envoyé 15 fois le même manuscrit à 15 éditeurs différents qui ont été refusés 15 fois de suite et acceptés par le 16e. Et qui ont fait des carrières formidables. Donc voilà : ne pas se laisser décourager, s’accrocher.
Merci beaucoup pour cette interview. Les élèves de Malraux et moi aussi, on est vraiment contents de vous avoir comme professeur dans ce lycée et on vous souhaite le meilleur pour les Imaginales.
Merci j’espère tous vous voir aux imaginales. »