En attendant les Imaginales…
Interview de Justine Niogret / Par Orfilinn
Gueule de Truie, ton dernier roman, est sorti en février aux éditions Critic. Contrairement aux deux premiers, Chien du Heaume et sa suite Mordre le bouclier qui se déroulaient à l’époque médiévale, Gueule de Truie se situe dans un futur post-apocalyptique. C’est une période que tu souhaitais explorer depuis longtemps ?
– En fait, oui. J’ai toujours aimé les univers minuscules, repliés sur eux-mêmes jusqu’à la claustrophobie, les huis-clos, la survie. Comment fait-on quand on a plus rien, ou presque plus rien pour interagir. Du coup ça ressemble autant au médiéval qu’au post-apo, du moins on peut voir ça comme ça, parfois.
Pourquoi post-apocalyptique ? Parce que c’est un environnement intéressant et/ou car pour toi le futur verra l’homme survivre inéluctablement dans les décombres de sa civilisation ?
– Haha, bonne question. J’ai un esprit de myope, je ne vois jamais les choses en totalité (pour autant qu’on le puisse, remarque) ; du coup faire de l’anticipation, ça n’est pas mon propos. Je m’en estime incapable, il faut une vision bien plus complexe que la mienne de la géopolitique et des futurs possibles. Je dois être une sorte de moine médiéval ; je reste dans ma cellule à gratter du papier, je n’ai aucune, mais vraiment aucune prétention à parler de là où on va en tant qu’espèce humaine. Je ne fais que raconter des histoires et porter un peu les archétypes que j’aime pour ceux qui veulent les lire.
Une autre différence par rapport à tes précédentes oeuvres : le héros est un homme. Cela change-t-il beaucoup de choses au niveau de ton approche de l’écriture ?
– Absolument pas. Je sais que le sujet est complexe et difficile à trancher, mais ma version à moi, c’est que mes personnages centraux ne sont pas spécialement genrés. Après, on projette tous nos propres schémas, nos propres peurs, envies, tout ce que tu veux. Y’a qu’à voir la dernier Tomb raider, où Lara s’en prend plein la face et où plein de gens ont hurlé à la haine des femmes, mais des dizaines de héros mecs s’en prennent autant sans qu’on percute spécialement. Pour mes personnages centraux, je pense qu’on peut faire la culbute entre leur genre et l’autre sans changer particulièrement l’histoire.
Après, dans Gueule de Truie, la fille est une fille, mais je ne l’aime pas ; je pense que sans trop m’en rendre compte j’ai mis dedans tout ce que je n’aimais pas dans la féminitude « classique », celle qu’on m’a montrée comme normale et indispensable quand j’étais môme.
Et d’ailleurs Justine Niogret qui écrit, cela donne quoi : plutôt dans le silence dès le crépuscule, en robe de chambre avec une tasse de verveine, ou plutôt dès le matin avec un live de Combichrist et une poignée de céréales dans un bol d’absinthe ?
– Le matin, quelle horreur. Nan, je préfère le faire le soir, voire la nuit. Au lit ou sur le canapé, en pantalon de pyjama, avec un café froid. Mordre, je l’ai écrit la nuit, avec une bougie. C’était cool. Mordred, à sortir chez Mnémos, je l’ai écrit couchée mais j’ai pas eu trop le choix, j’avais le dos mort. En te répondant, je me rends compte que quand j’écris, je suis une limace.
Parlons de la couverture de Ronan Toulhoat, qui – d’après les retours que j’ai pu lire – illustre à merveille le livre et est une des plus belles couverture du genre. As-tu travaillé avec le graphiste pour sa conception ?
– Du tout. On ne nous le demande pas souvent, je pense qu’on pense que les écrivains sont tous fous, ou très chiants. Par contre, je sais que Ronan lit tous les livres dont il fait la couv, et c’est sans doute pour ça, entre autres, qu’il fait un aussi bon travail.
Toujours concernant ce que j’ai pu lire sur le livre, les retours sont positifs et surtout parlent plus d’une expérience que d’une lecture, comment expliques-tu cette impression sur ton roman ?
– Je trouve que Gueule parle de choses très dures. Vraies, aussi. Des trucs qu’on a, selon la vie qu’on s’est faite et/ou subie, envie d’entendre ou pas. Ça n’est pas forcement agréable. C’est peut-être un livre qui fait réfléchir à soi plutôt que raconter une histoire. Un peu comme Link qui se soigne en mangeant des fées, c’est un peu dégueulasse mais chouette à la fois ? Je ne sais pas.
Pour la quatrième année consécutive, tu es invitée aux Imaginales. Ça te fait quoi, de revenir à ce festival qui a consacré Chien du Heaume (prix du roman francophone en 2010) ?
– Très plaisir ! J’adore les Imaginales, et comme tu le dis, ils ont été là depuis mes tout débuts. Je tiens très fort à ce festival, et j’y serai à chaque fois que ce sera possible !
Orfilinn