Gagner la Guerre – Ines Cœur Mezzoud

Le Vieux Royaume est un univers vibrant, où Ciudalia, son port, ses palais et ses ruelles sont explorés sous un nouveau regard. Dans cette exposition, il s’agit moins d’une retranscription fidèle du texte que d’une exploration, oscillant entre fidélité au roman et interprétation personnelle.

Chaque image est une façon de redécouvrir Gagner la guerre sous un autre prisme, une autre porte d’entrée vers le monde de Jean-Philippe Jaworski.

 

Étant d’origine méditerranéenne, Gagner la guerre a fait surgir en moi les images de mon terroir azuré.

Que ce soit à bord d’un chébec de Ressine ou postée sur le port ciudalien, j’ai vu dans l’horizon les côtes italiennes et le bassin Levantin. Jean-Philippe Jaworski, sous la dictée de Benvenuto, nous offre autant des marines au ciel pur que des détours dans les plus tranchantes venelles de Ciudalia, sans oublier les jardins nobles à l’ombre tiède des pins et l’animosité des places populaires. Maintes fois, je me suis surprise à imaginer mon littoral natal plutôt que la grande capitale de la République.

Toujours, dans ses descriptions, l’auteur m’a renvoyé la vision d’un maître de jeu qui échafaude son décor, avec sa propre histoire et son propre dessein, où il s’amuse à faire avancer ses personnages. C’est ce procédé qui, stimulant l’imagination du lecteur, permet d’implanter efficacement des scènes théâtrales pour assurer la fluidité du récit. J’ai rapidement voulu les illustrer et rendre hommage à ces régions qui me sont chères en me détachant du point de vue du protagoniste.

 

Bien naïve, j’ai cru que la cohabitation de ma vision et celle de don Benvenuto se ferait sans accroc. Au même titre que l’auteur, j’ai été saisie par la force d’un tel personnage. Si l’objectif premier était de fournir une seconde lecture plus neutre du Vieux Royaume, je n’y suis pas parvenue sans tomber dans quelques embuscades du maître assassin. Les commentaires incisifs du soudard n’ont pas complètement quitté mon trait. Si je pensais que le plus dur était de les repérer puis omettre leur inflexion dans les descriptions du monde, essayez un moment d’être en conflit avec l’âme de l’artiste coincée dans la chair assassine ! Mieux vaut fuir ce coupe-gorge.

Il va de soi que, même avec le crayon influencé par la patte cruellement colorée de don Benvenuto, ma lecture de l’œuvre infléchisse le but initial d’objectivité. Cependant, j’ai compris que pour relever ce défi, il me fallait m’efforcer d’atteindre le même degré d’omniscience que celui de l’auteur. Je devais donc souvent virevolter autour d’une scène pour saisir le décor, créant alors un triptyque entre les imaginations de l’écrivain, du lecteur et de l’illustratrice.

J’ai mis un certain temps à accepter que le réel but de ce projet était d’inviter le lecteur à voir par mes yeux. Ce déclic a eu lieu lors de l’illustration de la scène finale du chapitre six, dont je tairai la teneur. Je tenais absolument à l’illustrer malgré plusieurs contraintes. La scène se déroule dans la nuit noire ; la caractérisation du second personnage n’est pas fiable à travers l’œil de Benvenuto ; j’en viens à me demander après-coup si les motivations des protagonistes sont altérées par la culpabilité du narrateur. Bref, les informations sont erronées et me voilà sans support textuel solide. Alors j’ai éclairé cette scène noire, décoré l’arrière-plan, caractérisé les acteurs. L’illustration est devenue plus qu’une traduction du récit, mais presque une œuvre à part entière teintée de Gagner la guerre. Grâce à l’absence de directives, ma vision s’est élargie et j’ai saisi, de façon assez intime, l’intérêt fondamental du projet.

L’objectif de neutralité a donc été remplacé par le désir grandissant de partager ma lecture grâce à un médium qui m’est familier et avec lequel je m’exprime le mieux.

Jusqu’ici, je m’étais gardé de l’influence des autres illustrateurs du Vieux Royaume, comme Frédéric Genet, Melchior Ascaride ou Laureline Mattiussi. Ce n’est que lorsque j’ai eu la précédente prise de conscience que je me suis procuré l’édition illustrée de Mauvaise Donne (Moutons électriques) et que j’ai feuilleté la bande dessinée de Gagner la guerre (Le Lombard) ; j’avais assez confiance en mon interprétation du roman pour apprécier d’autres en toute sérénité. J’ai été surprise par les ressemblances entre les interprétations (preuve de la force des descriptions de Jean-Philippe Jaworski) mais plus admirative des différences. C’est là la joie des adaptations. Le plaisir vient de la mise en image du regard de l’artiste, sa lecture, ses choix, et c’est son privilège que de se mêler à ses œuvres.

 

L’attrait que je porte à ma région a trouvé son écho dans le Vieux Royaume. Maintenant que je vous ai exposé mon rapport au texte, mes doutes et mes observations, il ne me reste plus qu’à conclure en vous conseillant d’embrasser les libertés que j’ai prises dans ce projet. Tel que me l’a dit Jean-Philippe Jaworski, la ré-appropriation d’une œuvre par des artistes contribue à sa vitalité et à son épaisseur.

Artistes exposés

  • Parc du Cours

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    Du 22/05/2025 au 25/05/2025
    Adresse Jardin du Cours, Epinal

Parc du Cours

Adresse Jardin du Cours, Epinal